« Ils sont une quarantaine et sont logés dans un hôtel luxueux du centre de Kinshasa, à 300 dollars la nuit et ce prix ne comprend aucun service, pas un repas”, explique Pierre D., militaire congolais, gradé, engagé dans les rangs de l’armée depuis 18 ans, qui ajoute qu’il n’a pas perçu sa solde depuis 6 mois, “soit un peu plus de 15 000 dollars”.
L’ombre de Kabila
Depuis plusieurs semaines, le président congolais Félix Tshisekedi évoque avec ses proches une défiance vis-à-vis des troupes chargées d’assurer sa sécurité. “La tentative de coup d’État menée par Christian Malanga le 19 mai dernier n’a fait qu’aviver ses craintes et accélérer la venue de ces Blancs à Kinshasa”, explique un autre militaire.
”Il ne cache pas ses appréhensions”, ajoute un diplomate en poste à Kinshasa. “Il ne cache pas non plus qu’il voit la main de son prédécesseur derrière ces éventuels mouvements. Joseph Kabila est omniprésent dans la tête du premier cercle du pouvoir”, enchaîne un autre observateur étranger pour qui “le silence de Kabila et le fait qu’il s’est éloigné du pays pour se réfugier en Namibie ou en Afrique du Sud sont des éléments qui façonnent encore un peu plus l’image de l’homme qui menace le pouvoir, qui veut prendre sa revanche”.
Vent de grogne
Ce jeudi 20 juin, de retour d’un voyage en Afrique du Sud pour participer à la prestation de serment de son collègue le président Cyril Ramaphosa, Félix Tshisekedi a fait halte à Lubumbashi pour inaugurer du matériel ferroviaire qui doit faciliter l’évacuation de la production agricole de certaines régions. C’est à l’occasion de cette sortie publique, la première dans cette province depuis sa réélection, que les nouveaux “gardes du corps” du président ont été remarqués. Une vingtaine d’hommes blancs en tenue militaire, bien armés. “Ce sont des Roumains qui parlent français. D’anciens de la légion étrangère française basés jusqu’ici dans le Nord-Kivu. Ils sont officiellement chargés de surveiller certaines installations sensibles, comme l’aéroport de Goma. mais ils ont aussi participé à certaines contre-offensives de l’armée congolaise contre le M23. Au moins deux de ces Roumains sont morts dans ces combats”, poursuit un agent congolais.
La présence de ces “mercenaires blancs” n’est pas passée inaperçue dans les rangs des militaires congolais. Certains, à Kinshasa, voient cette défiance à l’égard de leur troupe comme une forme de trahison. “La situation est compliquée dans tout le pays et les autorités ne font qu’accentuer le malaise avec de telles actions. Ces mercenaires reçoivent entre 15 000 et 20 000 dollars par mois. Ils sont logés dans des hôtels de luxe, mangent tous les jours, et même plusieurs fois par jour, quand les militaires congolais ont une solde de 150 dollars qui n’a plus été versée depuis plusieurs mois”, explique un sergent établi en bordure de Kinshasa.
”La grogne est palpable dans les rangs de l’armée”, explique un proche du pouvoir congolais qui évoque “plusieurs généraux restés proches de Kabila” et insiste sur “un général qui dispose de ses propres troupes à Kinshasa même”.
Alignement des menaces
À Kinshasa comme à Lubumbashi, la possibilité d’un coup de force est abondamment commentée dans tous les services. “Le président de la République est sous tension. Il sait que les militaires sont mécontents. Il sait que les budgets qui leur sont alloués sont largement détournés. Il sait aussi que la guerre dans l’Est, les tensions avec les pays de l’East African Community, lui valent de solides inimitiés dans tous les États de cette région, à l’exception du Burundi dont le poids militaire est proportionnel à la taille”, explique un ancien ministre de l’est du pays. Des tensions sont aussi apparues avec le Congo-Brazzaville qui s’est rapproché du Rwanda. L’Angola, lui, voit se développer avec inquiétude une nouvelle forme de tensions ethniques, importées du Congo, au sein de ses frontières. “Il faut aussi ajouter la guerre des services de renseignements qui ne permet pas d’analyser sereinement ces menaces”, explique un membre de l’ANR qui conclut : “mercenaires ou pas, cette colère va déboucher sur une explosion de violence. La seule question, c’est celle du timing et de l’endroit d’où va partir ce mouvement.”.
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