Quand Kigali raffine le sang congolais

Les regards se tournent de plus en plus méfiants vers Kigali depuis Kinshasa. La Gasabo Gold Refinery, une raffinerie d’or et d’argent située dans le district de Gasabo au Rwanda, a récemment été sanctionnée par l’Union européenne (UE). Cette décision est due à son rôle présumé dans le commerce illégal de l’or pillé dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC), une région riche en ressources minières, mais aussi en souffrances humaines. Alors que les Congolais pleurent leurs morts et voient leurs terres ravagées, cette affaire révèle une vérité amère : l’or qui brille à Kigali pourrait bien être celui qui cause des morts à Goma. Heshima Magazine explore cette controverse qui déstabilise la région des Grands Lacs.

Une raffinerie née dans l’ombre d’une précédente

La Gasabo Gold Refinery a une histoire récente. Ses fours ont commencé à fonctionner en 2023, remplaçant Aldango, la première raffinerie d’or du Rwanda, ouverte en 2019 et fermée en 2021 pour des raisons obscures. Située dans un complexe ultramoderne à Kigali, Gasabo se vante de fonctionner 24 heures sur 24, transformant l’or brut en lingots étincelants pour des clients locaux et internationaux. Sous la direction de Bosco Kayobotsi, l’entreprise prône efficacité et éthique, des valeurs qui semblent cependant fragiles face aux accusations qui l’entourent.

Pour le Rwanda, ce projet est stratégique. Le pays, bien que petit, aspire à devenir un centre de raffinage en Afrique de l’Est. À Kinshasa, cela est perçu comme une exploitation opportuniste des richesses congolaises tout en maintenant une image respectable. Cependant, cette façade se fissure sous le poids des sanctions européennes.

L’or de la discorde : d’où vient-il ?

Bosco Kayobotsi affirme son innocence. Dans une interview accordée à KT Press en 2023, il a déclaré que Gasabo ne se procurait de l’or qu’auprès de compagnies africaines légalement enregistrées, loin des zones de conflit. « Pas une once ne vient de la RDC », a-t-il clamé. Bien que convaincante, cette version peine à convaincre, surtout à Kinshasa, où il est bien connu que les minerais traversent les frontières avec facilité.

Les enquêtes révèlent une autre réalité. Selon des rapports internationaux relayés par l’UE, une partie de cet or proviendrait des mines illégales du Nord-Kivu et de l’Ituri, des régions où le M23 et d’autres groupes armés imposent leur loi par la terreur. Cet or, extrait par des creuseurs exploités sous la menace des armes, serait ensuite acheminé au Rwanda, raffiné à Gasabo, avant d’être vendu comme un produit « propre ». À Goma, un commerçant local, qui préfère rester anonyme, déclare amèrement : « Ils prennent notre or, le lavent à Kigali, et nous laissent les cadavres. »

L’Union européenne tape du poing sur la table

Le 17 mars 2025, l’Union européenne a réagi en imposant des sanctions. Gasabo Gold Refinery et son directeur, Bosco Kayobotsi, sont désormais persona non grata à Bruxelles. Le motif : leur implication présumée dans le commerce d’or qui finance le M23, un groupe rebelle soutenu par le Rwanda. Selon le journal Globe and Mail, l’UE dispose de preuves que Gasabo traite de l’or extrait de sites contrôlés par les rebelles, contribuant à une guerre sans fin.

Ces sanctions, qui incluent le gel des avoirs et des interdictions de voyage, représentent un coup dur pour la raffinerie. Cependant, à Kinshasa, elles sont perçues comme une victoire symbolique. « Enfin, quelqu’un agit contre ces pilleurs », déclare Marie, une militante des droits humains. Néanmoins, beaucoup doutent que cela suffise à arrêter le flot d’or sale. En agissant ainsi, l’UE envoie également un message au Rwanda : sa réputation de nation modèle vacille.

Une blessure ouverte dans l’Est congolais

À des centaines de kilomètres de Kigali, l’Est de la RDC souffre encore. Le Nord-Kivu, le Sud-Kivu et l’Ituri sont devenus des champs de ruines, où le M23 et d’autres milices sèment la mort. L’or en est le carburant. Facile à extraire et à vendre, il alimente les poches des chefs de guerre, qui utilisent cet argent pour acheter des armes et des loyautés. Un rapport récent de l’organisme américain « GAO » souligne que ce commerce échappe toujours aux régulations, malgré des efforts internationaux.

En raffinant cet or, Gasabo devient complice de cette tragédie. Chaque lingot sorti de ses fours pourrait financer des violences contre des villages congolais. À Kinshasa, la colère monte. « Pendant que Kigali prospère, nos enfants meurent », dénonce Papa Joseph, un père de famille déplacé du Nord-Kivu. Les chiffres sont alarmants : des millions de déplacés et des milliers de morts, alimentant un conflit interminable.

## Le Rwanda sur la défensive

À Kigali, le gouvernement rejette fermement les accusations, qualifiant les sanctions de « campagne malveillante ». Gasabo insiste sur la rigueur de ses pratiques, mais ces dénégations peinent à convaincre. Les sanctions pourraient avoir un impact significatif : le Rwanda exporte une part croissante de minerais raffinés, et un boycott international pourrait fragiliser cette source de revenus.

Dans les rues de Kinshasa, l’opinion est claire. « Le Rwanda veut notre or sans payer le prix de la paix », déclare un chauffeur de taxi. Les tensions entre les deux pays, déjà vives, risquent de s’intensifier. Pendant ce temps, à Gasabo, les machines continuent de tourner, mais l’incertitude demeure.

Un problème qui dépasse les frontières

L’affaire Gasabo Gold Refinery n’est pas qu’une querelle régionale. Elle met en lumière les failles d’un système mondial incapable de contrôler le commerce des minerais de conflit. Les lois existent, comme celles de l’UE ou la Dodd-Frank aux États-Unis, mais leur mise en œuvre reste insuffisante. « Tant qu’il y aura des acheteurs, l’or continuera de couler », déplore un expert congolais. Les raffineries, complices ou aveugles, demeurent un maillon faible dans cette chaîne.

Et au bout de cette chaîne, ce sont les Congolais qui souffrent. À Beni, Bukavu et Uvira, les communautés vivent dans la peur, chassées de leurs terres par des milices financées par cet or. Les sanctions contre Gasabo sont un premier pas, mais un pas timide. « On veut la justice, pas juste des punitions symboliques », martèle Marie, l’activiste.

Quel avenir pour Gasabo ?

Gasabo Gold Refinery se trouve à un tournant. Les sanctions de l’UE pourraient n’être que le début : si d’autres puissances, comme les États-Unis, emboîtent le pas, l’entreprise pourrait rapidement s’effondrer. Bosco Kayobotsi, jusque-là dans l’ombre, devra probablement s’exprimer pour tenter de sauver sa raffinerie. Cependant, à Kinshasa, peu croient à un changement rapide.

À Kigali, les fours de Gasabo brillent encore dans la nuit. À Goma, les familles pleurent leurs disparus. Entre les deux, un fil d’or maudit relie prospérité et désespoir. Une chose est certaine : cet or rwandais porte depuis trop longtemps l’odeur du sang congolais. Il est grand temps que le monde ouvre les yeux.

Heshima

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