Gardiens de supermarché, conducteurs de camion et « très grosses erreurs » : le rôle raté des mercenaires occidentaux dans la chute de Goma

Une enquête sur l’utilisation par la RDC de centaines de combattants roumains engagés révèle comment une opération désorganisée avec des recrues non formées est devenue un « cirque » mortel.

Une défaite humiliante

En janvier, après que le siège de deux ans de la ville congolaise de Goma s’est terminé par la victoire des rebelles M23 et des troupes rwandaises, un groupe hétéroclite de près de 300 mercenaires blancs a été aligné pour voir leur défaite humiliante diffusée à la télévision. Willy Ngoma, le porte-parole militaire du M23, a fait régner la peur en ordonnant à un homme de s’asseoir par terre, les mains derrière la tête.

Le 28 janvier, la milice M23 et les soldats rwandais avaient capturé la plus grande ville de l’est de la RDC, une défaite spectaculaire pour les forces congolaises et les Européens censés protéger Goma.

Un passé troublé

Les dirigeants congolais ont une longue histoire d’emploi de mercenaires blancs, ayant mené des campagnes contre les rebelles après l’indépendance de la Belgique en 1960. L’ancien dictateur Mobutu Sese Seko avait également engagé des mercenaires ex-yougoslaves dans les années 1990.

À la fin de 2022, alors que le M23 entourait Goma, le gouvernement de la RDC a engagé deux sociétés militaires privées. Agemira, composée d’anciens agents de sécurité français, fournissait un soutien en renseignement et logistique à l’armée congolaise.

Les Romeos

La majorité des mercenaires provenaient d’une seconde entreprise dirigée par Horațiu Potra, un ancien légionnaire français, connu pour gérer la sécurité des politiciens en Afrique. À leur apogée, les hommes de Potra, principalement roumains, comptaient environ 1 000 membres, surnommés « les Romeos ».

L’opération était marquée par des différends salariaux et des pénuries d’équipement, déployant d’anciens membres des forces de sécurité et des recrues non formées, comme des gardes de supermarché. Selon une enquête conjointe menée par le Guardian, le Public Record de Roumanie et le Soir de Belgique, les Romeos collaboraient également avec des milices locales.

Une fuite désespérée

Alors que les forces congolaises s’effondraient autour de Goma, les Romeos se sont précipités vers la base de l’ONU, abandonnant équipements et véhicules. Un haut responsable de l’ONU a déclaré qu’ils allaient imminemment être tués. Les combattants du M23 ont ensuite donné aux Romeos deux heures pour se rendre, provoquant la panique à l’intérieur de la base.

Des contrats précaires

Au départ, les Romeos ont signé avec une entreprise britannique, GPH La Role Ltd, avant que les contrats ne soient transférés à une société congolaise, Amani Sarl. Les conditions étaient précaires : trois mois de travail, un mois de repos, sans assurance maladie. Les contractants devaient acheter leur propre équipement.

Victor Railean, un agent de sécurité moldave, est allé en RDC pour subvenir aux besoins de son fils. Il a été tué en février 2024 lors d’une embuscade. D’autres contractants ont signalé des mensonges sur le nombre de leurs collègues sur le terrain.

Une opération désorganisée

Des témoignages révèlent que l’opération était désorganisée, avec des recrues inadaptées. Environ 30 % des contractants avaient servi dans la Légion étrangère française. Un contractant a décrit la société de Potra comme « un cirque ».

Les Romeos ont été déployés près des lignes de front, officiellement pour former le personnel de sécurité local. Cependant, des vidéos et des témoignages montrent qu’ils participaient à des opérations militaires.

Tensions internes

Des tensions existaient également au sein des troupes congolaises, payées environ 100 $ par mois, concernant les salaires des mercenaires. La RDC, l’un des pays les plus pauvres du monde, voit plus de 70 % de sa population survivre avec moins de 2,15 $ par jour.

Les Romeos ont coopéré avec des milices locales, mais leur rôle exact reste flou. Les responsables de la sécurité affirment qu’ils étaient conscients des limites légales de leurs engagements. La question de savoir si un contractant militaire est légalement un mercenaire est complexe, mais cela peut avoir des conséquences juridiques.

Jelena Aparac, ancienne présidente du Groupe de travail de l’ONU sur l’utilisation des mercenaires, appelle à la création d’un organe d’enquête indépendant pour soutenir les efforts de responsabilité.

Cette enquête indépendante a été soutenue par des subventions de Journalismfund Europe, du fonds IJ4EU et de la Henry Nxumalo Foundation et Viewfinder. Ces bailleurs de fonds ne sont pas responsables du contenu publié.

The Guardian

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