“Accord secret”: Dorothée Madiya, l’avocate congolaise de l’ entreprise sud-africaine  réclame 150 millions de dollars pour  le compte  de Dig Oil à l ‘état congolais

Un  deal secret à 150 millions de dollars entre la junior Dig Oil et Kinshasa selon Africa Intelligence.
Le gouvernement de Judith Suminwa Tuluka est rattrapé par un protocole d’accord conclu en 2023 avec Dig Oil, censé mettre un terme au long conflit judiciaire avec la junior sud-africaine.

Depuis sa prise de fonctions en juin, le ministre des hydrocarbures, Aimé Sakombi Molendo, s’attelle à solder les différents contentieux qui ont jusqu’à présent empêché la RDC de matérialiser ses ambitions pétrolières. Outre le cas du milliardaire israélien Dan Gertler, dont l’issue bute encore sur un montage financier controversé, le ministre est rattrapé par le dossier de la junior Dig Oil.

L’avocate congolaise de cette entreprise sud-africaine, Dorothée Madiya Mwamba – élue à la députation nationale dans la ville-province de Kinshasa lors des élections de la fin de l’année 2023 –, fait le pied de grue auprès de l’exécutif congolais pour réclamer l’exécution d’un mystérieux protocole d’accord conclu le 24 mars 2023.

Ce document, auquel Africa Intelligence a eu accès, porte la signature de l’avocate, ainsi que celle de l’ancienne garde des Sceaux, Rose Mutombo Kiese. Inconnu jusqu’à présent, cet accord prévoit le paiement par Kinshasa de quelque 150 millions de dollars à Dig Oil. Il est censé clore la saga judiciaire entre la RDC et l’entreprise, marquée par des rebondissements devant la Chambre de commerce internationale (CCI) de Paris et la justice américaine.

L’affrontement prend sa source en 2007, après la signature entre les deux parties d’un contrat de partage de production (CPP) pour les blocs 8, 23 et 24 de la Cuvette centrale, suivi d’un deuxième CPP, l’année suivante, pour le bloc 1 du Graben Albertine. Cependant, ni l’un ni l’autre n’ont jamais fait l’objet d’une ordonnance présidentielle de la part de l’ancien chef de l’État Joseph Kabila (2001-2019), une condition pourtant essentielle à leur mise en œuvre. Trois ans plus tard, faisant fi de ses engagements précédents, le pouvoir congolais a attribué les droits du bloc 1 du Graben Albertine à deux sociétés, Foxwhelp et Caprikat, détenues par Dan Gertler, lui-même très proche de Joseph Kabila.


Apathie du pouvoir

Il s’est ensuivi plusieurs cycles de négociation avortés, qui ont conduit Dig Oil à se tourner vers la justice arbitrale. La sentence prononcée en novembre 2018 par la CCI s’est révélée particulièrement lourde pour la RDC, condamnée à payer quelque 617 millions de dollars de dommages et intérêts à la junior sud-africaine. Un arbitrage confirmé coup sur coup par la cour d’appel de Paris, en janvier 2020, par la justice américaine, en septembre 2021, puis par un tribunal belge, en décembre 2021.
Les procédures en question se sont distinguées par une certaine apathie du pouvoir, qui a tardé à déployer sa stratégie de défense ou simplement à régler les frais d’honoraires de ses avocats. À Washington, la cour du district de Columbia a tranché par défaut en faveur de Dig Oil, Kinshasa n’ayant pas réglé les honoraires du cabinet américain Arent Fox, mandaté pour sa défense.
Cette léthargie juridique s’inscrivait alors dans un contexte particulier.

En parallèle de la procédure aux États-Unis, plusieurs ministres, dont l’ex-grand argentier Nicolas Kazadi en tête, œuvraient pour négocier un accord avec Dig Oil. En janvier 2021, tandis que la procédure américaine était encore en cours, les discussions ont mené à l’élaboration d’un « acte transactionnel ». Celui-ci prévoyait le paiement immédiat de 8 millions de dollars à Dig Oil, ainsi que l’octroi d’un permis pétrolier d’une valeur de 300 millions de dollars. La convention de transaction ne sera finalement jamais signée, l’exécutif congolais préférant reprendre les négociations à travers la création, en juillet 2021, d’une commission ad hoc présidée par la ministre Rose Mutombo Kiese.


Des procédures « délibérément sabotées »

Cette gestion erratique avait été sévèrement critiquée par l’un des conseils de Kinshasa dans ce dossier, le Belge Philippe Chansay-Wilmotte. Pour ce dernier, il aurait été aisé de contrer juridiquement la sentence arbitrale, notamment en insistant sur le fait que l’ordonnance présidentielle était à la discrétion du président Kabila et ne revêtait pas de caractère contraignant.
Dans l’une de ses correspondances adressées à la présidence congolaise, déjà révélée par Africa Intelligence, l’intéressé estimait que les différentes procédures avaient été « délibérément sabotées », afin que celles-ci « soient organisées systématiquement au détriment de la République en manière telle que leurs résultats funestes servent de prétextes à transiger ».
Trois ans après la mise en place de la commission ad hoc, le protocole d’accord signé par la garde des Sceaux a réduit le montant dû à 150 millions de dollars. Sur cette somme, un acompte dit « de bonne foi » de dix millions de dollars a été payé dix jours après la signature du deal en faveur de l’avocate Dorothée Madiya-Mwamba. Le texte stipule également que la partie congolaise s’engage « à identifier les éléments (notamment des actifs miniers ou pétroliers) qui pourraient contribuer au règlement des sommes dues à Dig Oil ». C’est ce texte qui rattrape aujourd’hui le gouvernement de la première ministre, Judith Suminwa Tuluka. Son ministre des hydrocarbures, Aimé Sakombi Molendo, cherche à renégocier les termes de ce document au plus vite afin de diminuer le montant des prétentions de Dig Oil.
Il tente pour cela de s’appuyer sur le fait que la junior pétrolière n’aurait jamais démontré sa capacité technique et financière pour mener à bien de tels projets. Un constat auquel s’ajoute une erreur matérielle dans le protocole d’accord et dont la partie congolaise cherche à tirer profit. Il est ainsi fait mention que le permis du bloc 3 du Graben Albertine, signé avec la société Semliki – réputé appartenir à 100 % à Dig Oil –, soit renouvelé sans frais dans la foulée de l’accord. Or, selon Kinshasa, ledit permis avait été conclu avec une autre société, en l’occurrence SaCoil, dont le lien avec Dig Oil n’est pas indiqué dans le texte.

Olivier Liffran

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